solé dans mes pensées, j'observais la mort éphémère du jour présent. Le dernier rayon de lumière rougeoyant vint frapper le rivage sablonneux, embrasant pour la dernière fois l'océan de plomb: piètre défense contre l'obscurité naissante qui prenait son essor, enveloppant de ses ailes de ténèbres ce monde décadent.

  e percevais encore les pics rocheux, baigné dans le clair de Lune: paysage dantesque à peine atténué par la pâle lumière de l'astre de la nuit. D'insignifiantes ombres se mouvaient au loin, semblant frêles à côté des grandes falaises de basalte: apparitions fantomatiques qui hantaient ces lieux depuis des temps immémoriaux, quittant leurs cachettes diurnes pour rôder parmi les vestiges de souvenirs effacés ères après ères. Chaque nuit depuis mon arrivée dans ce lieu perdu, je les regardais errer vers d'insoupçonnables buts. Mystère de la création, leur seule présence me transportait en des songes abyssaux. Je devait connaître leur secret, dussé-je en être damné.

  es êtres, tout droit sortis d'invraisemblables rêves, s'assemblaient et formaient une ronde absurde. Ils se fondaient en une masse compacte d'ombre: l'individualité n'est plus de mise, la fusion est plus réconfortante. Cet amas nébuleux tourbillonnait au rythme de la nature: la brise nocturne qui effeuillait les saules centenaires; les rayons de Lune déstructurés par l'irrégularité de la roche brute; les gémissements lancinants des albatros solitaires; le son mélodieux des vagues qui se déversaient dans les gorges ouvertes de la pierre, fluide vital que voulait s'approprier ces montagnes inertes.

  et ensemble formait une symphonie parfaite, douce et capiteuse à mes oreilles, et la danse des spectres ne me semblait pas déplacée en ce contexte, bien au contraire. Ce délicieux spectacle me faisait tourner la tête. Toutes mes pensées négatives s'exhudèrent de mon esprit en même temps qu'un bonheur irréel m'envahit et me lova dans une brume de plaisir. Tous mes sens se déployèrent pour aller chercher la jouissance au milieu de ce malstrom.

  ais, au sein de mon cocon, tissé de toutes ces sensations, je ne remarquais pas l'atmosphère malsaine qui commençait à poindre. La brise devint tempête, faisant plier les saules qui gémissaient et grinçaient sous les assauts de cet infernal élément. La Lune, excité par de sombres agissements se teinta de vermeil et enfanta une pluie de sang qui rebondit et se multiplia sur les facettes de la roche: décor de théâtre borgien qui transfigura la scène et en fit ressortir toute l'horreur qui la hantait. de petites taches, maintenant écarlates, tournoyaient dans un ciel de jais. leurs cris, devenus stridents, attirèrent une foule d'engoulevents, chacun représentant une âme errante. Leur chant suraigu me firent sursauter, créant un profond malaise au fond de mon être. Au milieu de cette litanie écœurante, je discernais les plaintes rauques de corbeaux. Ils se lancèrent alors dans un frénétique ballet morbide d'où jaillissait une peine immense. La terre elle-même se convulsait, tordant ses falaises devenues malléables. Mon antique demeure commença à fondre, la roche se liquéfia sous mes pieds et je me sentait sombrer dans cet élément fluide qui m'engloutissait.

  es rôdeurs s'en étaient allés, ne laissant que chaos derrière eux. Race maudite qui enfante la destruction et la mort, l'extinction puis le Néant.
  ace damnée, promise à un exil éternel, en quête d'Univers à annihiler.

Taur Urgha
 
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